jeudi 2 février 2012

La nuit la plus longue de ma vie

J'étais en train de servir les assiettes lorsque le nom de mon neveu (le fils de ma meilleure amie et ex-belle soeur donc cousin de mon fils C)) s'affiche sur mon tel portable. "Je t'appelle pour te prévenir que C est tombé en sandwich en faisant une figure de gym. Les pompiers vont l'emmener à l'hôpital.Je vais les suivre et je te tiens au courant."
"Il a mal?; qu'est ce qu'il s'est fait?"
"C'est sans doute une fracture du bras gauche, on ne sait pas."
Je finis de servir les assiettes en me demandant intérieurement qu'est ce que signifiait ce mot de "sandwich, tombé en sandwich", si j'allais prendre ma voiture pour les retrouver à l'hôpital ou pas....
Je me réponds à moi même que oui, je vais le faire et je pars après avoir prévenu le neveu par sms
Aux abords de Dijon mon tel sonne c'est encore le cousin. Je m'arrête.
"H, c'est moi t'es sur la route? "
"Oui"
"Ils t'attendent avant de l'opérer. C'est une fracture de la sixième cervicale avec double luxation C5/C6 C6/C7, ils l'opèrent en urgence mais ils t'attendent"
J'essaye d'intégrer les mots terrifiants qui viennent d'être prononcés.....Je raccroche et je me mets à crier dans ma voiture. De toutes mes  forces, de toute ma colère je hurle ;" nooooooonnnnnn je ne veuuuuuuuuux paaaaas" puis une série de jurons que je préfère ne pas répéter.
De son côté, parce que nous en avons parlé depuis, mon fiston sent que malgré toute sa volonté et sa concentration il ne peut pas du tout bouger son bras ou sa main gauche, pire qu'il ne ressent plus aucune sensation provenant de cette zone-là. Avec l'intense douleur qu'il ressent à la nuque, et le fait qu'il soit en 5ème année de médecine avec un désir d'être neurologue, il SAIT que sa moelle est touchée et essaye de se faire à l'idée qu'il sera sans doute paralysé du bras gauche.
Moi, à partir de ce moment là, au volant, je ne sais plus rien. J'ai l'impression d'être dans une autre ville, un autre pays, une autre planète. Je ne reconnais plus rien. Je fais des ronds. Pendant une heure je tourne dans la ville complètement perdue, hurlant des "non, putain, merde" à perdre haleine.
Puis l'hôpital m'appelle. Ils m'attendent. c'est urgent.
Je puise une force surnaturelle quelque part en moi et j'arrive alors à l'hôpital. Mon neveu m'attends sur le parking, économie de mots, course dans les couloirs des urgences, une porte s'ouvre et je LE vois:
Livide, droit comme un i, branché de partout, je m'approche, la femme médecin me demande de ne pas le toucher, de ne pas m'appuyer sur le lit. Je l'embrasse quand même, un baiser comme une petite feuille toute légère, et je lui dis "je t'aime" dans l'oreille puis "ça va bien se passer". En relevant la tête, je remarque que la médecin a les yeux mouillés, que l'infirmier aussi, je soupèse la gravité des visages qui nous entourent et instantanément je RESSENS la gravité de son état!
Je demande au médecin ce qu'on va lui faire, elle se dérobe, j'insiste, elle prend son talky walky et passe une consigne au bloc pour que le neuro chirurgien me voie.
Je réalise qu'ici beaucoup de gens connaissent mon fils qui y a fait des gardes.On me dit qu'on l'apprécie, que c'est un étudiant brillant et sympathique.
Et on m'invite à l'accompagner au bloc.
L'anesthésiste me pose des questions : a t il déjà été opéré, souffre t il d'allergie? Je comprends que le fiston est tellement shooté de morphine qu'il n'a pas pu répondre lui-même aux questions.
Tout d'un coup, je pense à sa carte de groupe sanguin. Il a une anomalie dans sa formule sanguine. On ne peut pas le transfuser. Je me penche pour demander à C s'il a sa carte de groupe sanguin. Il murmure non. L'anesthésiste est contrarié. Le chirurgien qui arrive le rassure "normalement il n'y a pas besoin de transfusion". Je note les cheveux gris du spécialiste du bistouri et cela me rassure. Cyril ouvre un œil et demande au neurochirurgien ce qu'il va lui faire.
Ce monsieur se lance dans une explication extrêmement détaillée de ses lésions et de ce qu'il va tenter. Les yeux de C s'agrandissent comme des soucoupes. Il me dira plus tard qu'il s'était vu tétraplégique et envisageait différentes euthanasies possibles.
Moi je me suis discrètement éloignée des explications pour poser le bout de mes fesses sur une table que j'avais repérée, histoire de ne pas tomber comme un vieux tas de chiffon sur le carrelage devant le bloc, cela aurait fait désordre!
Lorsque j'ai compris qu'ils l'emmenaient, je me suis rapprochée pour essayer de poser quelques mots rassurants qui viendrait atténuer comme un baume l'effet terrifiant des mots précédents, puis les portes se sont refermées, scellant notre destin.
 Ensuite je me suis autorisée à craquer. Puis comme cela faisait une heure que je me retenais ce fut un assez gros craquage.....
On nous a mis dans une petite salle de consultation.
On nous a apporté du café toutes les heures, proposé des sandwichs, de la soupe....
Puis c'est l'attente.
Je n'admets pas l'idée qu'il lui arrive quelque chose. C'est juste INSUPPORTABLE.
Je vais régulièrement aux toilettes. Mes entrailles se vident. Mon énergie aussi.
Je pense en boucle aux différents mots possibles que va prononcer la personne qui va rentrer dans la pièce après l'opération pour nous en donner le résultat. Je me prépare mentalement à intégrer tous les possibles, je me prépare au pire, je me prépare à être forte.....Encore......Je me demande jusqu'où on peut être forte? Quelle successions d'épreuves, un être humain est il capable d'encaisser en restant debout et ne trouve pas de réponse....
A 3h du matin l'interne vient nous dire que l'opération a réussi, qu'il bouge les deux bras et les jambes. Instantanément la chappe de plomb radioactive brûlante qui rendait l'air de la pièce tellement dense qu'on y était écrasé, s'est envolée. Le sourire est revenu sur les visages.
Nous avons encore attendu 4H du mat pour le voir en salle de réveil. Le cousin s'est approché de C qui a esquissé un sourire et a murmuré quelque chose. Nous avons approché nos oreilles pour entendre et le "vieux saumon" échappé des lèvres du fiston nous a tout à fait rassuré. Il n'avait pas perdu son sens de l'humour!
Je suis restée à son chevet pour le reste de la nuit.
Le lendemain il s'est levé, pour aller se doucher. Ce miracle était si BON
Néanmoins, il n' a pas retrouvé toute la motricité de sa main droite. Pour le moment il ne peut pas écrire par exemple, acte qu'il a vérifié assez rapidement dans sa volonté de pouvoir continuer ses études....
Affaire à suivre, un pied devant l'autre pour chaque étape à traverser!

7 commentaires:

pakita a dit…

Je viens de tout lire d'une traite sans même respirer tant c'était insupportable d'imaginer le pire ! J'imagine sans mal l'angoisse qui a du t'empoigner jusqu'à la fin, ce sentiment de détresse, cette chape que tu décris en fin de billet.
Je me dis que nous sommes peu de chose, que la vie est si fragile ! ne tient qu'à un fil comme on dit.
Et je suis tellement heureuse pour toi, pour ton fils qu'il ait pu retrouver l'état de son bras, de sa main, de son corps !
Il est jeune, il va pouvoir retrouver d'ici peu toute sa mobilité.
Mais quelle peur ! Quelle épreuve ! Et j'imagine aussi comme cela a du te ramener quelques années en arrière. Tu sais trop, hélas ce que ce genre de drame entraine pour le reste de la vie.
Et un grand merci bien sûr aux chirurgiens du bloc qui l'ont tiré de là !
Plein de tendresse pour toi...
Et maintenant, respire ! :-)

Anonyme a dit…

Je suis de tout coeur avec vous, courage à vous..

Myel a dit…

Si j'ai été privée d'oxygène en te lisant, je peux imaginer avec quelle intensité tu as du affronter cette épreuve. Prends soin de toi, de lui et de tout ton petit monde.

Françoise a dit…

Encore une fois, Hélianthine, je comprends ce que tu as pu ressentir, et cela m'a été dur de lire tes mots. Mais cela se termine bien, et c'est cela le principal. Ton fils retrouvera l'intégralité de la mobilité de sa main droite, j'en suis persuadée. Je t'embrasse fort.

helianthine a dit…

Merci les filles de partager encore cela avec moi. Passée la joie extrême d'avoir échappé au pire, il faut maintenant puiser le courage de récupérer ce qui pourra l'être...
Espoir, espoir... Cela fait vivre parait-il!

Anonyme a dit…

Hélianthine, hélas ma santé ne me permet pas de venir chaque jour sur le sblogs, mais je m'en veux tellement de ne pas avoir été de suite là, près de toi

J ene peux une fois de plus commenter les choses trop lourdes, mais les partager , oui !!

mon homme en 1992, a eu un très grave accident , deux vertèbres pulvérisées, 12h d'opération, des plaques en titane , des vis, des greffes osseuses
après el miracle d'être en vie, le fauteuil roulant l'attendait

il a dit : NON, Jamais

il a remarché, fait du ski, du véo, de lours travaux pour notre maison, ...

il le voulait ... comme moi me sortir du cancer, puis de la saloperie qui pourrit ma vie en ce moment

je parle constamment d'ESPOIR

AVANCER,ESPERER, bien sûr qu'il va retrouver toutes ses capacités...

je t'embrasse...

Anonyme a dit…

l'amour donne des ailes, l'amour peut tout !

Et crois moi, on se surprend, lorsque la vie nous malmène , à developper un courage insoupçonné, lorsqu'on a pas le choix... il est jeune ton fils... sois juste un peu patiente...

ESPOIR toujours, Victoire avant tout (c'était mon ancien blog) et encore plus de force après l'épreuve !
qui seule sait ensuite nous faire apprécier le prix de la vie !
bisous