mercredi 23 mai 2012

Celine

J'y suis retournée.
Avec le cœur coupable d'avoir laissé filer tant de temps depuis ma dernière visite.
Elle ouvre les yeux mais ne veut pas me regarder....
Je lui caresse le visage et lui parle d'amour, de la vie, du besoin qu'ont ses enfants qu'elle soit là,
Elle charge son regard d'une immense détresse. Je me dis que le lit va s'enfoncer dans le sol sous le poids d'une telle émotion!
Je lui parle de l'égoïsme des hommes, et de nous en particulier, qui sommes heureux de pouvoir encore sentir la chaleur de sa peau et de se noyer dans le bleu de ses yeux.
J'entends ce qu'elle me dit en silence. Ou plutôt non, à grand renfort de sons de gorge.
Elle me dit par la pensée (mode 100% interprétation) sa révolte, son ras le bol, sa souffrance, sa colère, son envie de mourir.
L'infirmière arrive. Se penche pour plonger son regard dans celui fuyant de Céline et je vois alors la haine s’éjecter du bleu acier. Céline est devenue un puits émotionnel alternant dégoût, peur, tristesse, colère et très rarement joie. Cette dernière émotion par exemple lorsqu'une infirmière ouvre la porte de la chambre et dit, "ah, il y a quelqu'un! Je me demandais pourquoi la porte était fermée". J'ai bien vu le rapide sourire de mon amie lorsque j'ai répondu tout bas, "ben oui c'est pas Céline qui s'est levée pour la fermer cette porte hein?"
Sans compter que même si les miracles existaient, avec ce que les médecins lui ont enlevé de chair des pieds à cause des énormes escarres infectées qu'elle avait développé, elle ne serait pas prête de se faire porter par ces appendices-là!
La seule fois où elle m'a regardée c'est lorsque je lui ai lu les dernières pages du cahier des visites qu'il va falloir d'ailleurs bientôt remplacer parce qu'on arrive au bout...
A la dérobée, elle m'a regardée. Lorsque j'ai levé les yeux vite fait des lignes, j'ai subrepticement croisé son regard, et malgré la fugacité de l'instant j'ai bien vu que c'était un regard doux et admiratif, celui qu'elle posait déjà sur moi "avant" . mais elle a vite détourné les yeux.
Que c'est DUR de ne pas pouvoir l'aider davantage!!!!
Je ressors vidée d'énergie pas fière de moi, avec presque honte de reprendre une vie si "normale".

lundi 21 mai 2012

Date anniversaire

Il pleut.
L'eau s'insinue entre le col de mon imper et mon cou.
Je reste impassible, la tête légèrement en avant pour protéger mes yeux.
Mes yeux qui regardent la tombe.
Bien propre, bien fleurie, où chaque chose est à sa place. Du coup qui me ressemble si peu!
Je me fais la réflexion qu'elle était plus brouillon, plus anarchique du temps qu'on y allait souvent ses amis, Clara et moi. Je laissais les traces de passage des uns et des autres en vrac. Je ne sais pas faire de belles choses bien propres, bien rangées.
Je me dis que 5 ans sont déjà passés.
Je sens le poids de ces cinq années à l'absence de douleur dans mon plexus.
La tristesse resurgit parfois au détour, d'une photo, d'un souvenir évoqué, d'un manque éprouvé.
Mais la douleur, celle qui tord les boyaux avec des hauts le coeur, celle qui terrasse la volonté de se mouvoir, qui empêche de respirer, elle n'est plus.
En ce moment il fait froid.
Il pleut.
Alors la mémoire corporelle se tait.
Cette mémoire-là s'est exprimée toutes les autres années précédentes. Elle est terrible parce que fulgurante et incontrôlable. Lorsque les conditions extérieures sont réunies. Les roses, la chaleur, le soleil, les chants d'oiseaux, la légère brise du matin. Lorsque tous les éléments du tableau sont là, à l'époque anniversaire fatidique, les cellules se souviennent et elles envoient toutes en même temps des messages d'alerte. On se sent oppressée avec le sentiment d'un danger imminent . Puis seulement alors le cerveau analyse la situation, la mémoire revient...Oui c'était un jour exactement comme celui-là lorsqu'il est mort....Malgré tout, les cellules continuent de ré évoquer la souffrance éprouvée ce jour-là et c'est infernal!
Mais cette année, les cellules sont restées en paix car elles n'ont pas reconnu les conditions extérieures.
Voilà.
Je me dis tout cela et d'autres choses.
La pluie ruisselant sur mes épaules.